Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/22

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Ma tante secoua la tête ; conserver ce papier eût trop coûté à son indolence.

« C’est Rachel qui l’a, ma chère, dit-elle, et vous la trouverez dans la pièce d’à côté. »

J’y entrai, et je revis Rachel pour la première fois depuis que j’avais quitté Montagu-Square.

Dans ses vêtements de grand deuil, elle paraissait avoir perdu la plupart de ses avantages physiques. Si j’attachais de l’importance au don périssable de la beauté, je dirais qu’elle a un de ces teints malheureux qui ont absolument besoin d’être relevés par une toilette de couleur tendre. Mais qu’est-ce que le teint, que sont les agréments extérieurs ? Un piège, un obstacle dans la voie de la perfection, mes chères jeunes amies ? À ma grande surprise, Rachel se leva lorsque j’entrai, et vint à ma rencontre en me tendant la main.

« Je suis bien aise de vous revoir, dit-elle ; Drusilla, j’ai eu le tort de vous parler trop souvent d’une façon sotte et impolie ; je vous en fais mes excuses, et j’espère que vous me le pardonnerez. »

Ma figure trahit sans doute l’étonnement que j’éprouvais ; elle rougit alors, puis s’expliqua :

« Du vivant de ma pauvre mère, ses amis n’étaient pas toujours les miens ; maintenant que je l’ai perdue, mon cœur se tourne vers les personnes qu’elle aimait ; vous lui plaisiez, Drusilla, tâchez de devenir mon amie, si vous le pouvez. »

Pour tout esprit bien réglé, le motif qu’elle invoquait n’était rien moins que scandaleux. Quoi ! en Angleterre, en pays chrétien, une jeune personne éprouvée par une perte semblable était si ignorante des véritables consolations, qu’elle imaginait d’en chercher parmi les amis de sa mère ! Une de mes parentes était amenée à reconnaître ses torts envers autrui, non sous l’impulsion de sa conscience, mais par l’élan aveugle de la sensibilité ! Toutefois, si déplorable que fût cet état moral, il m’autorisait à concevoir quelques espérances, étant donnée ma grande habitude des œuvres de charité. Je pensai qu’il ne pouvait pas y avoir d’inconvénient à m’assurer jusqu’à quel point la mort de sa mère avait changé le caractère de Rachel. Je me résolus donc, pour tenter l’épreuve, à la sonder au sujet de son engagement de mariage avec M. Godfrey Ablewhite.