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térêt à la lecture de ce qui est écrit ici. » Puis il joignit les mains, et pria Dieu avec ferveur de vous bénir ainsi que tous ceux qui vous sont chers. Il me dit qu’il eût bien désiré vous revoir, mais presque aussitôt il changea d’avis.

« Non, répondit-il, lorsque je lui offrais d’écrire ; je ne veux pas être une cause de chagrin pour lui ! »

Sur sa demande, je rassemblai tous ses papiers et je les réunis dans une même enveloppe, scellée de mon cachet.

« Promettez-moi, fit-il, que vous mettrez ceci de vos propres mains dans mon cercueil, et que vous veillerez à ce que personne d’autre n’y touche après. »

Je lui fis cette promesse, et elle a été religieusement tenue. Il m’adressa ensuite une autre prière à laquelle il me fut bien dur de me rendre.

« Que ma tombe soit oubliée, me dit-il, donnez-moi votre parole d’honneur que vous ne permettrez pas qu’aucun monument, que même le moindre signe commémoratif, s’élève sur ma fosse. Laissez-moi dormir ignoré et sans nom : que le lieu de mon repos reste inconnu. »

Lorsque je m’efforçai de faire fléchir sa résolution, il éprouva pour la première fois une agitation extraordinaire. Je ne pus supporter ce spectacle, et je dus céder. Un petit tertre de gazon marque seul la place de sa tombe ; dans un court espace de temps, les pierres tumulaires s’élèveront tout autour, et les gens qui viendront après nous regarderont et seront surpris en voyant cette tombe sans nom.

Ainsi que je vous l’ai dit, ses souffrances cessèrent six heures avant sa mort. Il s’assoupit ; je crois qu’il rêvait : une fois ou deux, un sourire passa sur ses lèvres, et un nom de femme — celui d’Ella, à ce qu’il me sembla — s’en échappa à plusieurs reprises. Quelques instants avant sa fin, il me demanda de le soulever sur son oreiller, afin de voir, à travers la croisée, le soleil se lever. Il était bien faible ; sa tête retomba sur mon épaule, et il murmura :

« Elle vient, elle vient ! »

Puis s’adressant à moi :

« Embrassez-moi ! »

Je baisai son front. Tout à coup il leva la tête ; le soleil levant frappait sa figure ; une expression de repos vraiment angélique l’éclaira. Il s’écria à trois reprises :