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ment, le vôtre n’est pas le mien et le mien n’est pas le vôtre, voilà tout ! Ayant donc pris cette malheureuse goutte de trop, j’eus recours aussitôt à mon remède infaillible, qui est, vous le savez, Robinson Crusoé. Je ne saurais préciser à quel endroit j’ouvris ce livre sans pareil, mais en revanche, je sais parfaitement à quel passage je m’arrêtai ; c’était à la page trois cent dix-huit, à une place où il était question du mariage de Robinson Crusoé, ainsi qu’il suit :

« C’est avec ces pensées que j’envisageai mon nouvel engagement, et que je songeai que j’ai une femme (remarquez que c’est ce qu’a M. Franklin) ; qu’un enfant m’est né (remarquez encore que ce pourra être le cas de M. Franklin !), et qu’alors ma femme… »

Ce que la femme de Robinson fit ou ne fit pas me fut bien indifférent, je ne m’en souciais pas ! Je marquai au crayon le passage relatif à la femme et à l’enfant, et j’y mis un signet en papier.

« Reste en paix, me dis-je, jusqu’à ce que le mariage de M. Franklin et de miss Rachel soit plus vieux de quelques mois et alors nous verrons bien ! »

Il se passa plus de mois que je ne l’avais prévu, avant qu’une occasion se présentât de déranger la marque du livre. Ce ne fut qu’au mois de novembre actuel 1850, que M. Franklin entra dans ma chambre de la meilleure humeur du monde et me dit :

« Betteredge ! j’ai une nouvelle à vous apprendre ! d’ici à peu de mois, il y aura un événement intéressant dans la maison.

— Un événement de famille, monsieur ? demandai-je.

— Sans nul doute, répondit M. Franklin.

— Notre bonne maîtresse a-t-elle quelque chose à faire avec cette nouvelle, je vous prie, monsieur ?

— Elle a beaucoup à y faire, dit M. Franklin, qui commençait à paraître un peu étonné.

— Vous n’avez pas besoin de dire un mot de plus, monsieur, fis-je ; Dieu vous bénisse tous les deux ! je suis enchanté d’apprendre cela ! »

M. Franklin me dévisagea, muet de surprise.

« Puis-je me permettre de vous demander d’où vous tenez cette nouvelle ? me demanda-t-il. Je n’en ai été informé, et cela sous le sceau du secret, qu’il y a cinq minutes. »