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Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/60

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je me sentis intimement persuadé que j’étais en présence d’un des trois Indiens, et sans doute de leur chef. Il était mis avec soin ; mais malgré ses vêtements européens, son teint bistré, sa tournure souple et déliée, enfin ses manières graves et polies, suffisaient pour trahir son origine orientale à tous les yeux intelligents.

Je lui montrai un siège et le priai de m’instruire de l’affaire qui l’amenait auprès de moi.

Il commença par m’exprimer, dans l’anglais le plus choisi, ses regrets de la liberté qu’il prenait de me déranger ; ensuite il tira de sa poche un petit paquet recouvert de drap d’or. Enlevant une première, puis une seconde enveloppe en étoffe de soie, il plaça sur ma table une petite cassette, admirablement incrustée de pierres précieuses, sur un fond d’ébène.

« Je suis venu, monsieur, commença-t-il, pour vous demander de me prêter une somme d’argent, et je déposerai ceci comme gage de l’exactitude du remboursement. »

Je lui montrai sa carte.

« C’est à la recommandation de M. Luker que vous vous adressez pour cela à moi ? » répondis-je.

L’Indien s’inclina.

« Pourrais-je vous demander pourquoi M. Luker lui-même ne vous a pas avancé cette somme ?

— M. Luker m’a dit, monsieur, n’avoir en ce moment aucun argent disponible.

— C’est alors qu’il vous a engagé à venir me trouver ? »

L’Indien à son tour montra la carte.

« Il l’a écrit là-dessus, » me dit-il.

Les réponses étaient nettes et allaient au but ! Si la Pierre de Lune avait été en ma possession, je ne fais aucun doute que ce gentleman oriental ne m’eût assassiné sans une seconde d’hésitation. À part ce petit inconvénient, je puis affirmer qu’il était un client modèle ! Il eût pu ne pas respecter ma vie, mais il faisait ce qu’aucun de mes compatriotes n’avait jamais fait dans le cours de ma longue carrière professionnelle : il respectait la valeur de mon temps.

« Je regrette, dis-je, que vous ayez pris la peine de venir jusqu’ici. M. Luker s’est entièrement mépris en vous adressant à moi. On me confie, comme à d’autres membres de ma