Page:Collins - Le Secret.djvu/162

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et bizarre. À côté de la table se tenait assis un petit homme à cheveux blancs, à joues roses, à physionomie bénigne et simple, qui tressaillit, la porte s’ouvrant, comme s’il ressentait une assez vive confusion, et mit la main sur le ressort de la boîte à musique, afin que, l’air fini, elle cessât de jouer.

« Cette dame demande à vous parler, dit l’ouvrier à mine joyeuse. Madame, voici M. Buschmann !… ajouta-t-il un peu plus bas, voyant mistress Jazeph hésiter encore à l’entrée du salon.

— Voulez-vous bien prendre la peine de vous asseoir, madame ? dit M. Buschmann lorsque son ouvrier, refermant la porte, fut retourné derrière le comptoir. Pardonnez-moi cette musique… elle va s’arrêter avant peu. » Ces paroles furent dites avec un accent étranger, mais très-couramment.

Mistress Jazeph attachait sur lui, tandis qu’il parlait ainsi, un regard fixe et curieux ; elle fit encore un ou deux pas avant de prendre à son tour la parole.

« Suis-je donc si changée, dit-elle enfin, si changée, si vieillie, oncle Joseph ?

Gott im Himmel… ! c’est sa voix !… la voix de Sarah Leeson !… » s’écria le vieillard courant à sa visiteuse, comme un enfant eût pu le faire, pour lui prendre les deux mains et l’embrasser sur les deux joues avec une singulière vivacité.

Bien que sa nièce n’eût que la taille moyenne des personnes de son sexe, l’oncle Joseph était si petit qu’il eut à se dresser sur la pointe de ses pieds avant de pouvoir lui donner sa paternelle accolade.

« Penser que Sarah revient enfin !… disait-il, la forçant de prendre un fauteuil ; après tant et tant d’années, penser qu’elle a voulu revoir son oncle Joseph !…

— Toujours Sarah, mais non plus Sarah Leeson, dit mistress Jazeph, serrant l’une contre l’autre ses mains grêles et tremblantes ; et ses yeux baissés restaient fixés au parquet.

— Ah !… Mariée, donc ? reprit gaiement M. Buschmann. Mariée, c’est clair. Parlons de votre mari, Sarah !

— Il est mort… mort et pardonné !… »

Ces trois derniers mots furent prononcés à voix basse, et personne qu’elle ne les put entendre.

« Ah ! tant pis !… J’en suis peiné pour vous… J’ai parlé un peu trop vite, n’est-ce pas, mon enfant ? dit le vieillard. N’importe !… Non, non, ce n’est pas cela que je veux dire… Je veux dire… Parlons d’autre chose… N’est-ce pas, Sarah,