Page:Collins - Le Secret.djvu/163

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que vous prendrez bien une tartine de marmelade ?… une marmelade de framboises, un vrai délice, qui fond dans la bouche… Non ?… Du thé, alors ?… Oui, oui, elle prendra bien un peu de thé… Et nous ne parlerons de rien de fâcheux… au moins pas en ce moment… Vous êtes bien pâlie, Sarah !… Vous avez l’air plus vieux que votre âge… Non, ce n’est pas encore là ce que je voulais dire… Je suis malavisé sans le vouloir… C’est à la voix que je vous ai reconnue, mon enfant ; à cette voix dont votre oncle Max disait que, si vous eussiez appris le chant, elle aurait fait votre fortune… Voilà sa jolie boîte à musique ; elle va toujours… N’ayez donc pas l’air si abattu !… Je vous en prie, n’ayez pas cet air !… Tenez, écoutez un peu la musique… Vous vous rappelez bien la boîte ?… la boîte de l’oncle Max ?… Mon Dieu ! quel air avez-vous donc ?… Avez-vous oublié la boîte dont fit présent à mon frère le divin Mozart, alors que Max était encore à l’école de musique à Vienne ?… Écoutez, je l’ai fait recommencer… C’est un chant qu’on appelle Batti, Batti, tiré d’un opéra de Mozart. Ah ! c’est beau, mais beau !… Votre oncle Max disait que toute la musique du monde était dans ce petit air-là… Moi, je ne me connais pas en musique, mais j’ai mon cœur et mes oreilles… et tout me dit que Max ne se trompait pas. »

Tout en débitant ceci avec force gestes et une volubilité sans pareille, M. Buschmann versait une tasse de thé, la sucrait avec soin et, tapotant les épaules de sa nièce, la priait de la boire tout aussitôt si elle voulait être bien aimable. Ses caressantes instances l’avaient rapproché d’elle, et il vit des larmes dans ses yeux ; il la vit, sans en faire semblant, chercher dans sa poche un mouchoir pour les essuyer.

« Ne faites pas attention, dit-elle, voyant que le bon petit vieillard s’attristait à la regarder, et n’allez pas me croire, oncle Joseph, sans mémoire ou sans reconnaissance. Je me souviens de la boîte… Je me souviens de tout ce qui vous intéressait jadis, alors que j’étais et plus jeune, et aussi plus heureuse que maintenant. La dernière fois que vous m’avez vue ici, j’étais venue à vous dans le chagrin. C’est encore dans le chagrin que je reviens aujourd’hui. Vous pouvez m’accuser de négligence pour ne vous avoir pas écrit depuis tant d’années ; mais ma vie a été bien triste, allez… et j’ai pensé que je n’avais pas le droit de jeter mon fardeau de peines sur les épaules d’autrui. »

À ces derniers mots, l’oncle Joseph secoua la tête, et toucha