Page:Collins - Le Secret.djvu/176

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— Cela fera le malheur de plus d’un innocent… et cela me fera mourir… Ne vous écartez pas ainsi de moi, cher oncle !… Je ne parle pas ici d’une mort infamante… Non… À personne je n’ai fait autant de tort qu’à moi… Le pire trépas que j’aie à craindre est celui qui rend la liberté à un esprit lassé par l’oppression… qui guérit de sa blessure un cœur brisé.

— C’est assez… assez comme cela, dit le vieillard. Je ne vous demande, Sarah, aucun secret qui ne soit complètement vôtre… Vous m’avez conduit en face de ténèbres… dans des ténèbres profondes où j’erre au hasard… Aussi j’en détourne les yeux, pour ne plus regarder que vous… Et dans ce regard, chère enfant, aucun soupçon… de la pitié, seulement, et des regrets… Oui, je regrette que jamais vous ayez approché de Porthgenna ; je regrette que vous ayez à y retourner.

— Je n’ai pas, mon oncle, d’autre alternative. En supposant même que chaque pas fait sur la route du vieux manoir me conduisît en même temps au supplice, encore faudrait-il avancer… Sachant ce que je sais, impossible de faire halte, impossible de dormir tranquille, impossible même de respirer librement, jusqu’à ce que j’aie retiré cette lettre de la chambre aux Myrtes. Comment y parvenir ?… Oh ! mon bon oncle, comment y parvenir sans être soupçonnée, découverte par quelqu’un ?… Voilà ce que je voudrais savoir, fût-ce au prix de ma vie… Vous êtes homme… plus âgé, plus prudent que moi… Pas un être vivant ne vous a jusqu’ici imploré en vain. Venez à mon aide, maintenant… Vous, l’unique ami que j’aie au monde, aidez-moi d’une parole qui me guide. »

L’oncle Joseph se leva de son fauteuil, croisa les bras résolument, et regarda sa nièce bien en face.

« Vous voulez y aller ? dit-il ; quoi qu’il arrive, vous voulez y aller ? Pour la dernière fois, dites-le, Sarah. Est-ce décidément oui ou non ?

— Oui ! Pour la dernière fois je réponds : oui !…

— Bien… Et comptez-vous partir bientôt ?

— Il faut que je parte demain… Je n’ai pas un jour à perdre… Les heures mêmes, autant que j’en peux juger, doivent être comptées pour beaucoup.

— Vous m’assurez, chère enfant, que l’enfouissement du Secret ne produit que du bien, et que de sa découverte il résulterait des malheurs ?

— Fût-ce ma dernière parole en ce monde, encore une fois je dirais : oui !