Page:Collins - Le Secret.djvu/198

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d’avoir votre opinion pour me guider. Et je m’y rangerai encore aujourd’hui, dit mistress Pentreath ; mais comme il y aura deux personnes à surveiller, car, à aucun prix, je ne voudrais perdre l’étranger de vue, j’en suis réduite à vous prier de prendre avec moi la peine de les conduire. Je suis si agitée, si nerveuse, que je ne me crois pas en possession de toutes mes facultés ; jamais, songez-y, je ne me trouvai à pareille fête, entourée de mystères que je ne puis comprendre ; bref, si je ne pouvais compter sur votre assistance, je ne répondrais pas de ne point commettre quelque grave erreur… Or je serais très-fâchée qu’une telle erreur fût commise, non-seulement pour ce qui me concerne, mais aussi… »

La femme de charge n’en dit pas plus, mais elle regardait M. Munder de manière à ce qu’il ne pût s’y méprendre.

« Achevez, madame, dit M. Munder avec un phlegme cruel.

— Non-seulement pour ce qui me concerne, reprit mistress Pentreath un peu piquée, mais aussi pour votre compte. Car, ceci est bien certain, la lettre de mistress Frankland place sur vos épaules, tout autant que sur les miennes, la responsabilité de cette affaire si délicate. »

M. Munder recula de quelques pas, rougit, ouvrit la bouche pour exprimer son indignation, hésita un moment, et la referma. Il était pris à son propre piége. Il ne pouvait abdiquer, après l’avoir pris le moment auparavant, le rôle de directeur ; et il ne pouvait nier que la lettre de mistress Frankland ne fît mention de lui nommément, et à plus d’une reprise. Une seule voie lui restait pour sortir honorablement de cette position difficile, et, dès que M. Munder eut repris assez de calme pour y entrer, il le fit sans la moindre confusion.

« Je suis vraiment surpris, mistress Pentreath, continua-t-il avec une dignité suprême, que vous m’ayez cru capable, un seul instant, de vous laisser le soin de montrer la maison à ces étrangers, dans des circonstances aussi bizarres que celles où nous sommes placés tous les deux. Non, madame ; je puis avoir d’autres défauts ; mais je n’ai jamais hésité à prendre ma juste part de responsabilité. Vous n’aviez pas besoin de me remettre en mémoire la lettre de mistress Frankland ; et… non, pas d’excuses, je vous prie… je suis prêt, madame… absolument prêt à monter avec vous, partout où vous irez.

— En ce cas, monsieur Munder, le plus tôt sera le mieux… car voici déjà cet audacieux vieillard qui bavarde avec Betsey comme s’il la connaissait depuis le berceau ! »