Page:Collins - Le Secret.djvu/239

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que je serais heureuse de vivre sous votre toit, d’y rester, avec votre aveu, jusqu’au dernier jour de ma vie !… Mais tant de repos et de bonheur n’entre pas dans le lot qui m’est échu… La crainte que j’ai d’être interrogée par mistress Frankland me chasse de Porthgenna, me chasse du Cornouailles, me chasse de votre foyer… Celle de voir découvrir la lettre n’est peut-être pas aussi terrible pour moi que celle de subir un pareil interrogatoire… J’ai déjà dit ce que je ne devais pas dire… Si je me retrouve en présence de mistress Frankland, il n’est rien qu’elle ne puisse tirer de moi… Oh ! mon Dieu !… penser que cette bonne et charmante jeune femme, qui partout, autour d’elle, porte le bonheur, n’est pour moi qu’un sujet de crainte… J’ai peur devant ses yeux chargés de pitié… J’ai peur quand sa douce voix vibre à mon oreille… J’ai peur quand sa douce main effleure la mienne… Oui, mon oncle, quand mistress Frankland viendra visiter Porthgenna, les enfants eux-mêmes feront foule autour d’elle : toute créature, en ce pauvre village, se sentira attirée par l’éclat lumineux de sa beauté, de sa bonté, comme par l’éclat radieux du soleil lui-même… Et moi !… moi seule parmi tant d’êtres vivants… il faut que je l’évite comme si sa présence donnait la mort. Le jour où elle entrera dans le Cornouailles est précisément le jour où j’en dois sortir… le jour où il faudra que, vous et moi, nous nous disions adieu. N’ajoutez rien à tant d’amertume en me demandant si j’aurai le cœur de vous quitter… Pour l’amour de ma mère qui n’est plus, oncle Joseph, croyez à ma reconnaissance… croyez que, si je vous quitte encore une fois, c’est moins que jamais à ma volonté que j’obéis. »

Elle se laissa tomber, parlant ainsi, sur un sofa placé près d’elle, posa sa tête, avec un long soupir découragé, sur l’un des coussins, et n’ajouta plus un mot.

Les pleurs s’amassaient sous les paupières de l’oncle Joseph, tandis qu’il s’asseyait auprès de sa nièce. Il lui prit la main, qu’il flattait et tapotait tour à tour, comme s’il eût eu un enfant à calmer :

« Je supporterai ceci de mon mieux, murmurait-il faiblement… et je ne dirai plus rien… Quand je serai resté seul, vous m’écrirez au moins quelquefois, n’est-il pas vrai ?… Pour l’amour de la pauvre mère qui n’est plus, vous accorderez bien quelques heures à l’oncle Joseph ?… »

Elle se retourna de son côté, et lui jeta les deux bras autour