Page:Collins - Le Secret.djvu/313

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par tendresse pour vous. Cette tendresse m’avait révélé un secret que vous me vouliez cacher ; cette tendresse m’avait fait comprendre que je n’aurais jamais votre cœur tout entier, si je ne vous donnais un enfant. Et vos lèvres, d’ailleurs, me l’ont confirmé. Vos premières paroles à votre retour, et quand cette enfant fut placée dans vos bras, les avez-vous oubliées ? « Je ne vous ai jamais aimée comme aujourd’hui, Rosamond, » me disiez-vous… Sans ces paroles, je n’aurais jamais pu garder un si coupable secret.

« Je ne puis guère ajouter à ceci, car la mort est bien près de moi. Comment cette fraude fut commise, et quels autres motifs m’y poussèrent, c’est à vous de le savoir en questionnant la mère de l’enfant ; c’est elle qui écrit, sous ma dictée, ces lignes qu’elle est chargée de vous remettre quand je ne serai plus. Vous aurez pitié, je le sais, de la pauvre petite créature qui porte mon nom. Ayez aussi pitié de son infortunée mère ; elle n’est coupable que d’une trop aveugle obéissance à mes ordres. Si quelque chose atténue l’amertume de mes remords, c’est de me souvenir que ma tromperie a sauvé d’une honte qu’elle ne méritait point la plus fidèle et la plus dévouée créature qui soit… Ne maudissez pas ma mémoire, Arthur ! J’ai trouvé des mots pour vous dire en quoi j’ai péché contre vous ; je n’en trouverais pas pour vous dire combien je vous aimais. »

Rosamond avait tenu bon jusque-là, et elle était arrivée à la dernière ligne de la seconde page, lorsqu’elle s’arrêta de nouveau, essayant de lire la première des deux signatures : « Rosamond Treverton. » Elle articula faiblement les deux premières syllabes de ce nom de baptême si familier à son oreille, ce nom que son mari répétait à chaque heure du jour, et voulut prononcer la troisième ; mais l’effort fut vain : la voix lui manqua. Tous les souvenirs sacrés du foyer domestique, que cette impitoyable lettre venait de profaner à jamais, semblèrent, arrachés à la fois, déchirer toutes les fibres de son cœur. Avec un faible cri, un gémissement plaintif, elle laissa retomber ses bras sur la table, et, y posant sa tête, cacha sa figure dans ses mains.

Elle n’entendit rien, n’eut conscience de rien, jusqu’au moment où elle sentit, sur son épaule, un léger frôlement… le contact d’une main qui tremblait. Tous les battements intérieurs de son sang y répondirent : elle leva les yeux.