Page:Collins - Le Secret.djvu/352

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sent si étroitement l’un à l’autre, ce nouvel état de choses n’a rien effacé ?… » Et moi de répondre : « Non ; pas de mauvais sentiment, rien d’effacé… Tenez, si vous le voulez, je vais aller chercher la bonne petite dame ; elle viendra elle-même vous rassurer, de sa propre bouche, sur le compte de son bon mari… » Tandis que je parle ainsi, il passe sur sa figure une expression… qu’est-ce que je dis, une expression ?… une lumière, comme un rayon de soleil. Le temps de compter : une, deux ! ce rayon dure ; trois ! il est parti. Le visage est redevenu sombre… il se détourne de moi et se cache sous l’oreiller, et je vois la main pendante à côté du lit, qui commence à froisser le drap. « Eh bien ! c’est dit, n’est-ce pas ? je m’en vais chercher la bonne petite dame ? » Ainsi parlé-je, mais elle : « Non, non, pas encore. Je ne dois pas la revoir, je n’ose pas la revoir jusqu’à ce qu’elle sache… » Et la voilà qui s’arrête encore, voilà la main qui se remet à froisser le drap… Alors, doucement, bien doucement : « Qu’elle sache quoi ? » lui demandé-je. Et elle me répond : « Ce que moi, sa mère, je ne puis lui dire en face sans mourir de honte. — Alors, mon enfant, lui dis-je, pourquoi cet aveu, pourquoi ? Ne vaut-il pas mieux se taire ?… » Mais elle, avec un mouvement de tête comme ceci, et joignant les mains sur la couverture, comme cela : « Il faut que cet aveu se fasse, dit-elle ; il faut que de mon cœur sorte ce qui le ronge depuis si longtemps… Sans cela, comment goûter le bonheur que j’aurai à la revoir, ma conscience une fois satisfaite ?… » Puis elle s’arrête, lève en haut les deux mains, comme ceci, et se met à crier tout haut : « Oh ! la bonté céleste, la miséricorde de Dieu ne saurait-elle m’inspirer un moyen de le faire savoir à mon enfant sans avoir à le lui dire moi-même ?… » Et alors moi : « Chut ! lui dis-je ; ce moyen, je vais vous le donner. Racontez à l’oncle Joseph, qui est pour vous comme un père… racontez à l’oncle Joseph, dont l’enfant est mort dans vos bras ; dont votre main, jadis, à l’heure des chagrins, essuya les larmes… racontez à moi, mon enfant, et c’est moi qui courrai le risque, c’est moi qui supporterai la honte (s’il y a honte) de répéter ce récit. Moi, pour qui rien ne parle que ma chevelure blanchie, moi qui n’ai rien, pour me venir en aide, que mon cœur dénué de mauvaises intentions… j’irai trouver cette bonne et loyale dame, et déposer à ses pieds, fardeau précieux, la douleur de sa mère. Eh bien, au plus profond de mon âme je trouve cette assurance qu’elle ne se détournera pas de moi ! »