Page:Collins - Le Secret.djvu/354

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dame, ainsi faite, échoit pour son service particulier ma nièce Sarah, jeune fille alors, et jolie, et bonne, et douce, et d’une timidité !… Parmi plusieurs autres qui sollicitent la place, et qui sont plus fortes, plus vives, plus hardies, mistress Treverton, de préférence, choisit Sarah. Voilà qui est étrange. Ce qui ne l’est pas moins, c’est que Sarah, de son côté, débarrassée une fois de ses premières terreurs, de ses inquiétudes, de sa timidité souffrante, se met à aimer de tout son cœur cette grande et belle maîtresse si pleine de vie, de courage, de volonté, et d’une trempe si rare. Étrange phénomène ! mais aussi vrai qu’étrange, puisque c’est de Sarah que je le tiens, de Sarah, la vérité même.

— Parfaitement vrai, sans aucun doute, dit Léonard. En ce monde, la plupart des attachements un peu forts sont fondés sur des divergences de caractère.

— Aussi, reprit le vieillard, la vie qu’on allait mener à Porthgenna débuta sous d’heureux auspices. L’affection de mistress Treverton pour son mari débordait de son cœur sur tout ce qui l’entourait, et sur Sarah, naturellement, plus encore que sur les autres gens de sa maison. Elle ne voulait avoir d’autre lectrice que Sarah ; Sarah seule travaillait à son gré : pour l’habiller le matin et dans la journée, pour la déshabiller le soir, il lui fallait Sarah, toujours Sarah. Quand elles étaient seules, tête à tête, pendant les longues journées pluvieuses, leur familiarité était celle de deux sœurs… Et ce qui amusait le mieux cette maîtresse impérieuse, le jeu favori de ses heures oisives, c’étaient les étonnements de la jeune villageoise, qui jamais n’avait mis le pied dans un théâtre, quand mistress Treverton, vêtue de costumes éclatants, les joues couvertes de fard, déclamait et gesticulait devant elle, comme elle faisait jadis sur la scène, avant d’être mariée. Plus elle étonnait, plus elle effrayait sa suivante au moyen de ces mascarades capricieuses, plus le divertissement lui semblait bon. Pendant une année entière, le vieux manoir les vit mener cette existence facile et heureuse : heureuse pour les serviteurs, plus heureuse encore pour les maîtres, et à laquelle il ne manquait rien, rien absolument qu’une petite bénédiction, toujours espérée, toujours ajournée ; la même que voici, sauf votre respect, en longue robe blanche, étalée sur vos genoux, avec sa petite mine délicate et grassouillette, et ses mignons petits bras. »

Ici, un temps d’arrêt, qui lui permit de compléter l’allusion