Page:Collins - Le Secret.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par un geste de tête et un sourire caressant, adressés à l’enfant endormi dans le giron de sa mère. Il reprit ensuite :

« La seconde année commence, et, peu à peu, Sarah voit sa maîtresse changer. Le bon capitaine adore les enfants… il est sans cesse à réunir autour de lui les petits garçons et les petites filles de ses voisins et amis. Il joue avec eux, les couvre de baisers, leur fait mille cadeaux… et devient le meilleur ami de tous ces petits êtres. La maîtresse du manoir, qui devrait être, à ce compte, leur meilleure amie, regarde tout cela et ne dit rien… Elle regarde, tantôt très-rouge et tantôt très-pâle… Elle va dans sa chambre, où Sarah travaille pour elle ; elle se promène à grands pas ; elle ne trouve rien de bien fait… Puis, un beau jour, elle laisse échapper le secret de sa mauvaise humeur : « Pourquoi donc n’ai-je pas, moi aussi, un enfant que mon mari puisse aimer ? Pourquoi faut-il que sans cesse il fasse jouer et caresse les enfants d’autres femmes ? Elles prennent ce qui m’appartient… elles détournent son affection sur ce qui ne vient pas de moi. Je hais ces enfants, et je hais leurs mères !… » C’est la colère qui la fait parler ainsi ; mais la colère ne ment pas, ou ne ment que fort peu : aussi ne la voit-on se lier intimement avec aucune de ces mères. Les dames qu’elle reçoit avec plaisir sont celles qui n’ont pas d’enfants, ou dont les enfants sont tout à fait grands… Vous trouvez, n’est-ce pas, qu’elle avait tort ? »

Au moment où il faisait cette question à Rosamond, elle jouait avec la petite main de son enfant, laquelle reposait dans les siennes :

« Je pense, répondit-elle, que mistress Treverton était vraiment fort à plaindre. »

Et, là-dessus, elle porta doucement à ses lèvres la petite main de l’enfant assoupi.

« Eh bien, moi aussi, dit l’oncle Joseph… Fort à plaindre, vous avez trouvé le mot… Et bien plus à plaindre encore, quelques mois après, quand aucun enfant ne fut encore venu, quand aucun ne se fut même annoncé, et quand le bon capitaine, un beau jour, vint à dire : « Je me rouille ici… La paresse me vieillit… il faut que je reprenne la mer. Je vais demander un commandement… » Il le demanda, en effet ; on lui donna aussitôt un bâtiment, et le voilà parti pour ses croisières… après avoir bien caressé, bien embrassé sa femme au moment des adieux, c’est vrai… mais le voilà parti. Et quand il est parti, madame va trouver en haut la pauvre Sarah, qui