Page:Collins - Le Secret.djvu/371

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— Pourquoi m’avez-vous laissée m’arriérer si longtemps ? dit Rosamond, prenant la main de sa mère, comme d’habitude elle prenait celle de son enfant, et la posant de même sur son cou. Que n’avez-vous parlé la première fois que nous nous sommes vues, quand vous accouriez me soigner ? Ah ! que j’ai souvent regretté ceci en y songeant !… Ah ! ma mère !… n’est-ce pas que, dans mon ignorance, je vous ai fait de la peine ?… En vous rappelant ce qui s’était passé alors, n’avez-vous pas bien pleuré, dites-moi ?

— Vous, me faire de la peine ?… Toute ma peine, Rosamond, je ne l’ai due qu’à moi-même… nullement à vous… Chère et bonne enfant, avez-vous donc oublié ce que vous disiez ? « Ne soyez pas dur pour elle ! » Au moment où on me chassait, et bien justement, pour la peur que je vous avais faite, vous disiez à votre mari : « Ne soyez pas dur pour elle ! » Six petits mots, et pas davantage… Mais, depuis lors, combien m’a été douce la pensée que vous les aviez prononcés !… Et quand j’arrangeai vos cheveux, Rosamond, si vous saviez quelle envie j’avais de vous embrasser !… Et comme j’ai eu de la peine à m’empêcher d’éclater en pleurs lorsque je vous entendis, derrière les rideaux, souhaiter : « Bonne nuit » à votre enfant !… mon cœur m’étouffait… Revenue auprès de ma maîtresse, je vous défendis… Je ne voulais pas qu’on se permît un mot contre vous… J’aurais fait face à cent maîtresses, alors, et je leur aurais rompu en visière… Oh ! non, non, non… jamais vous ne m’avez fait de la peine, vous ! Ma pire douleur remonte à bien des années avant notre rencontre à West-Winston… Ce fut lorsque je quittai Porthgenna… Cette nuit affreuse où je me glissai jusqu’à votre nursery, et où je vous vis entourer de vos deux petits bras blancs le cou de mon maître… La poupée, que vous aviez mise au lit avec vous, était dans une de vos mains, et votre tête tout contre la poitrine du capitaine… Tenez, justement comme la mienne sur votre sein !… Oh ! Rosamond, qu’elle y est bien !… et quel bonheur !… J’entendis la fin de ce qu’il vous disait… Vous ne devez plus vous le rappeler ; vous étiez trop jeune… « Chut ! Rosette, chère enfant, disait-il, ne pleurez plus sur votre pauvre maman !… Pensez à votre pauvre papa !… Il a tant besoin que vous le consoliez !… » Voilà, chère fille aimée, voilà ce qui fut cruel… voilà le moment le plus amer de ma vie… Moi, votre mère, réduite à vous guetter furtivement, comme un espion… et à l’entendre vous dire, à vous, l’en-