Page:Collins - Le Secret.djvu/385

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rieuse nécessité de pourvoir à l’existence de ceux qui leur survivent.

La vie que menait Rosamond, sous le coup de cette lourde affliction qui venait d’y porter tant de tristesse, était la meilleure démonstration de cette théorie. Après que, malgré la force native de son heureux caractère, elle eut fléchi sous le choc de cette mort si étrangement solennelle et entourée de tant de terreurs, qui était venue lui ravir sa mère à peine retrouvée, ce ne fut point la marche lente des jours qui l’aida peu à peu à se relever, mais bien la nécessité, qui n’accorde pas de délais ; la nécessité, qui la rappela tout aussitôt à ses devoirs envers ce mari qui venait de pleurer avec elle, envers cet enfant dont la vie à peine commencée était une partie de sa propre vie, envers ce vieillard dont le chagrin désespéré ne trouvait de secours que dans les sympathies du jeune ménage, et ne pouvait puiser de résignation que dans celle dont Rosamond lui donnait l’exemple.

Dès le début, c’était à elle qu’était échue la pénible responsabilité de lui venir en aide. Avant qu’eût sonné la première heure de nuit, dans cette soirée fatale, il lui avait fallu s’arracher à ce chevet près duquel elle priait, pour courir au-devant de lui, l’arrêter au seuil de la porte, et, avant qu’il ne la franchît, le préparer à savoir qu’il allait entrer dans une chambre mortuaire. L’amener peu à peu, par d’insensibles gradations, à anticiper, à pressentir, à comprendre la terrible vérité ; au moment où elle lui apparut face à face, l’aider à soutenir le premier assaut de la douleur ; après l’inévitable ébranlement de cette bonne et faible nature, lui rendre, peu à peu, quelque ressort et quelque volonté : tels furent les soins impérieusement dictés au dévouement de Rosamond ; et ces soins empêchèrent son âme de s’abandonner aux accablantes inspirations d’une douleur qui se concentre en elle-même. Ce ne fut pas, ensuite, la moindre des épreuves auxquelles elle dut faire face, que de voir l’état de douloureuse inertie auquel avait réduit le pauvre vieillard une perte qu’il n’était pas en état de supporter.

Ses dehors étaient ceux d’un homme dont les facultés sont à jamais amorties par un choc soudain. Il restait assis, des heures entières, à côté de sa boîte à musique, la caressant parfois d’une main distraite, et se parlant tout bas tandis qu’il la regardait, mais sans jamais essayer de la faire jouer. C’était là l’unique vestige, l’unique symbole de toutes ces joies, de