Page:Collins - Le Secret.djvu/59

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une fois mis en tête de vendre son domaine, je ne doute pas que, dans des circonstances ordinaires, il n’eût pensé à l’offrir à son frère, ne fût-ce que pour conserver la terre dans la famille. Andrew était en position de l’acheter : car s’il n’a hérité, à la mort de son père, que la belle et rare collection de livres réunie par le vieux gentleman, il a eu en revanche, comme puîné, la fortune maternelle. Mais, vu l’état de leurs relations à cette époque (et j’ai regret de dire que cet état s’est perpétué jusqu’à présent), le capitaine ne pouvait faire de pareilles propositions à son frère. Ils ne se parlaient et ne s’écrivaient déjà plus… C’est terrible à dire, mais je n’ai jamais vu un différend pareil prendre un caractère aussi obstiné que la querelle de ces deux frères.

— Pardon, cher ami, interrompit M. Phippen, ouvrant son tabouret, qui jusqu’alors était resté accroché, par son gland de soie, à la poignée recourbée du parasol… Avant d’aller plus loin, laissez-moi m’asseoir… Cette histoire m’a déjà un peu ému, et je ne voudrais pas me fatiguer… Continuez, je vous prie… Je n’imagine pas que les pieds de mon tabouret puissent faire des trous dans le gazon… Je suis si léger… un vrai squelette… Mais continuez !

— Vous devez avoir entendu raconter, poursuivit le ministre, que, déjà dans la maturité de l’âge, le capitaine Treverton avait épousé une comédienne… une femme d’un caractère passablement emporté, à ce que je crois, mais d’une réputation sans tache, et aussi éprise de son mari qu’une femme puisse l’être ; par conséquent, à mon avis, le mariage n’était pas si mauvais. Les amis du capitaine n’en poussèrent pas moins les hauts cris, selon l’usage, fort peu d’accord avec le bon sens ; et son frère, l’unique proche parent qu’il eût, tenta de rompre l’union projetée, par des moyens que réprouve la plus simple délicatesse. N’y pouvant réussir, et ayant pris la pauvre femme dans une mortelle aversion, il quitta la maison de son frère. Entre autres mauvais propos destinés à diffamer la fiancée, il avait porté contre elle une accusation dégradante… une accusation que j’aurais honte de répéter. Ces fatales paroles, rapportées malheureusement à mistress Treverton, étaient de celles qu’une femme, et surtout une femme de pareille humeur, ne pardonne jamais. De là une entrevue entre les deux frères, laquelle devait nécessairement, vous le comprenez bien, aboutir à de fâcheux résultats. Ils se séparèrent, en effet, de la manière la plus déplorable. Dans la chaleur du débat, le capi-