finances. Grande est la suite qui vient après. Qui voudra s’amuser à dévider le filet s’apercevra que non pas les six mille, mais les cent mille, les millions, par cette corde se tiennent au tyran et l’aident, comme, dans Homère, Jupiter qui se vante, s’il tire la chaîne, d’amener à soi tous les dieux… » La Boëtie sait tout, il se sert de tout avec esprit. Les allégories mythologiques sont le moule de ses idées et de ses images. « Voilà, ajoute-t-il, les suppôts de la tyrannie ; voilà ceux qui ont l’œil au guet, l’oreille aux écoutes, ayant toujours le visage riant et le cœur transi, ne pouvant être joyeux et n’osant être tristes, ne s’appartenant plus à eux-mêmes… Les peuples, les nations, tout le monde, jusqu’aux paysans et aux laboureurs, sait leurs noms, déchiffre leur vie, les poursuit dans mille écrits, amasse sur eux mille outrages, et, après leur mort, on traînera leurs os pour les punir de leur méchante vie… Eux ne bougent ; ils ont le gain et le regain de la tyrannie, soutiens du tyran et tyranneaux eux-mêmes. »
Je ne sais si je me trompe : mais il est bien difficile de ne pas voir là un tableau de ce que La Boëtie avait devant les yeux sous François II, sous Charles IX, lors de la domination du cardinal de Lorraine et des Guises. On ne s’inspire en général que de ce qu’on voit. Or, ce n’est pas le règne de Henri II qui pouvait fournir à La Boëtie le sujet d’une peinture si sombre.
Ignorance et servitude ; instruction et liberté.
Mais il n’a pas fini. Il y a une troisième cause qui facilite la tyrannie ou la prolonge, et La Boëtie ne le cache pas. Il habitait Bordeaux ; il appartenait à une ville où l’instruction et l’éloquence ont toujours été en honneur ; où le commerce développe les idées par les communications et les voyages ; où l’on ne connaît pas l’isolement si fatal à tout, au caractère, aux mœurs, à l’esprit de société et de mutuelle confiance.