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II. — MONTAIGNE[1].


Il s’en faut que, pour la forme du gouvernement, Montaigne soit tranchant et acerbe comme son ami. Certes il aimait La Boëtie, et le Contr’un fut l’occasion de cette amitié célèbre. « Je l’aimais, parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Même âge presque et même naissance, même rang au Parlement, même érudition grecque et latine, même goût pour la philosophie et même éloquence, avec plus d’abandon et d’esprit gaulois dans l’un, plus d’âpreté dans l’autre : mais, quant aux opinions, aucune ressemblance. La Boëtie, mort jeune comme tant de précoces génies, est un Pascal pour la prose nerveuse, pour l’énergie dévorante de l’âme, et souvent un Jean-Jacques Rousseau pour le paradoxe. C’est un Romain aussi des anciens temps, fidèle aux lois de son pays, qui étaient des lois monarchiques ; mais leur préférant un gouvernement républicain, comme celui de Sparte ou de Venise, un vrai patriciat, sans peuple, sans démocratie, avec l’élite de la nation, l’élite de la propriété et de l’intelligence. « Le peuple, dit-il, n’est bon qu’à crier : Vive César ! Vive Auguste ! » La Boëtie semble dire : « Ma république, sera aristocratique, ou elle ne sera pas. » La Boëtie est un théoricien. Montaigne un observateur. L’un ne consulte que la raison, intraitable, absolue, allant coûte que coûte à ses fins ; l’autre tient plus de compte de l’expérience, qui est le flambeau de la raison : « ce sont des essais, dit-il, ce sont des études que je présente. » La Boëtie creuse un moule pour tous les peuples, le moule des Grecs et des Romains, et tous les peuples s’y logent ; il le veut, il le croit : Montaigne voit partout la variété d’institutions et de lois, partout les mêmes maux après les mêmes changements, souvent le même bon-

  1. Outre l’édition Leclerc et l’édit. Louandre, voir la belle édition de MM. Dezeimeris et Barckhausen, d’après les manuscrits conservés à la Bibliothèque de Bordeaux.