Page:Combes - Essai sur les idées politiques de Montaigne et La Boëtie.djvu/50

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Arrivés qu’ils furent, il fit dire la messe en sa chambre, et comme le prêtre n’était qu’à l’élévation, ce pauvre gentilhomme s’élança, au moins mal qu’il pût, comme à corps perdu, sur son lit, les mains jointes, et, en ce dernier acte, rendit son esprit à Dieu, qui fut un beau miroir de l’intérieur de son âme. »

La Boëtie à trente-huit ans, Montaigne à cinquante-huit, affirmaient, près de la tombe, le Dieu de leur berceau, et certainement le chrétien mourant ne nuisait pas au grand homme.

Mais la politique ? Ah ! c’est ici que triomphait le doute de Montaigne, et qu’on était aux antipodes de La Boëtie. À peine Montaigne nomme-t-il la république de La Boëtie. Il ne parle de celle de Platon (t. I, p. 309) que pour s’en moquer, pour dire qu’elle est chimérique, que c’est une utopie, et qu’il lui préfère la vie sauvage, la vie des Indiens de l’Amérique, chez « lesquels, dit-il avec une exagération bizarre, les paroles mêmes de mensonge, de trahison, de dissimulation, d’avarice, d’envie, de destruction, de pardon, étaient inconnues. »

« La coutume est la reine du monde, ajoute-t-il (l. I, chap. xxii, p. 145) ; les peuples, nourris à la liberté et à se commander eux-mêmes, estiment tout autre gouvernement monstrueux. Ceux qui sont formés à la monarchie en font de même. Ils renversent un maître et ils en replantent un nouveau… » Et ailleurs : « Les lois anciennes sont les meilleures… Il n’y a pas de régime et de train, pourvu qu’il ait de l’âge et de la constance, qui ne vaille mieux que le changement et le remuement… Le pis que je trouve en notre état, c’est l’instabilité, et que nos lois, non plus que nos vêtements, ne peuvent prendre une forme arrêtée… »

Voilà ce qu’il dit (t. III, p. 87-88), et il continue par cette observation saisissante, souvent citée et qui semble écrite aussi pour d’autres peuples : « Il est bien aisé d’accuser d’imperfection un régime, car toutes choses mortelles en sont pleines ; il est bien aisé d’engendrer au peuple le mépris de ses anciennes observances : jamais homme n’entreprit cela, qui n’en vînt à bout. Mais d’y établir un meilleur État, à la