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Page:Comptes-rendus des séances de l’année 1928.djvu/54

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COMMUNICATION

LES FORMES POPULAIRES DU VOCABULAIRE INDO-EUROPÉEN
PAR M. A. MEILLET, MEMBRE DE L’ACADÉMIE.

Dans les Syracusaines (XV, v. 13-14-15) Théocrite emploie trois fois de suite une forme, ἀπφῦς « papa », visiblement pour mettre une touche familière dans son dialogue. Le mot est remarquable à plusieurs égards.

D’abord, en face des formes connues par ailleurs, ἄππα, ἄπφα, πάππα (formes d’Homère et d’Aristophane), il offre une formation aberrante ; le procédé est courant chez les parlers populaires : c’est ainsi que le français populaire remplace godillot par godasse. L’-υ- doit avoir ici une valeur diminutive car -υ- figure dans les mots expressifs, diminutifs, comme στωμύλος « bavard » (chez Aristophane), μικκύλος (chez Moschus). ἀρκτῦλος, Νίκυλλος (avec -λλ-), ἐπύλλιον. Du reste, on connaît ἀπφίον, ἀπφίδιον, ἀπφάριον.

Quoi qu’il en soit, toutes les formes offrent en commun trois traits qui leur donnent un aspect à part entre les mots du vocabulaire indo-européen.

D’abord la gémination de consonnes c’est le trait bien connu qui caractérise beaucoup de mots expressifs et populaires du vocabulaire indo-européen. Dans le passage indiqué des Syracusaines, on lit au vers 12 τῶ μικκῶ « du petit » (en parlant du bébé).

En second lieu, la forme aspirée de la consonne -πφ- est la forme de -φ- géminé. J’ai montré dans les Symbolae grammaticae dédiées à M. Rozwadowski (Cracovie, 1917, I, p. 105-108), quel emploi des sourdes aspirées a été en indo-européen un procédé affectif du parler populaire. Il y a lieu d’ajouter beaucoup d’exemples à ceux qui sont indiqués dans ce bref mémoire. Le type ἄπφα, ἀπφῦς est de ceux qui s’expliquent ainsi.