Page:Comte - Discours sur l’esprit positif.djvu/47

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Au sujet de cette intime harmonie entre la science et l’art, il importe enfin de remarquer spécialement l’heureuse tendance qui en résulte pour développer et consolider l’ascendant social de la saine philosophie, par une suite spontanée de la vie industrielle dans notre civilisation moderne. La philosophie théologique ne pouvait réellement convenir qu’à ces temps nécessaires de sociabilité préliminaire, où l’activité humaine doit être essentiellement militaire, afin de préparer graduellement une association normale et complète, qui était d’abord impossible, suivant la théorie historique que j’ai établie ailleurs. Le polythéisme s’adaptait surtout au système de conquête de l’antiquité, et le monothéisme à l’organisation défensive du moyen âge. En faisant de plus en plus prévaloir la vie industrielle, la sociabilité moderne doit donc puissamment seconder la grande révolution mentale qui aujourd’hui élève définitivement notre intelligence du régime théologique au régime positif. Non seulement cette active tendance journalière à l’amélioration pratique de la condition humaine est nécessairement peu compatible avec les préoccupations religieuses, toujours relatives, surtout sous le monothéisme, à une tout autre destination. Mais en outre, une telle activité est de nature à susciter finalement une opposition universelle, aussi radicale que spontanée, à toute philosophie théologique. D’une part, en effet, la vie industrielle est, au fond, directement contraire à tout optimisme providentiel, puisqu’elle suppose nécessairement que l’ordre naturel est assez imparfait pour exiger sans cesse l’intervention humaine, tandis que la théologie n’admet logiquement d’autre moyen de la modifier que de sol-