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L'OBSCURE SOUFFRANCE


18 mai.



Brouillard glacé au-dehors ; au dedans, dégoût profond, ennui rongeur, larmes amères. « Laissez pleurer ceux qui n’ont pas de printemps. »

J’envie ceux dont l’esprit est fortement occupé, ceux qui ont les plaisirs de l’intelligence. Ne serait-ce pas parce que l’éveil de la pensée m’a laissé un souvenir plein de charme ?

J’étais encore bien petite, mais je savais lire. Les lectures graduées ne devaient pas être en vogue chez nous, car, après l’A. B. C., on me mit en main Le nouveau traité des devoirs du chrétien. Fière de mon gros livre, je l’ouvris et je lus : « Qui suis-je ?… d’où viens-je ?… où vais-je ?… » Ces mots me saisirent. Mon âme qui s’ignorait eut la soudaine perception de l’invisible, de l’au-delà et, la classe finie, j’allai seule m’asseoir au bord de la rivière pour penser à l’aise. J’y restai longtemps toute prise par le problème de mon existence, et le travail de ma pensée enfantine autour des mots « qui suis-je ? d’où viens-je ? où vais-je ? » me fut une jouissance étrange. Je me sentais sur un