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L'OBSCURE SOUFFRANCE

comme un espoir. Je sens que j’ai en moi une immense puissance d’être heureuse, et, l’esprit rempli d’espérances imprécises, je m’arrache à l’abjecte réalité, je me réfugie dans le rêve, je me compose une vie à mon goût, et si haute, si belle, si douce !

Ce n’est pas sage, je le sais. Mais mieux vaut se servir de l’imagination pour endormir le sentiment de ses maux que pour l’aviver.

Et d’ailleurs qui de nous ne se crée pas des bonheurs imaginaires ? Les plus heureux aiment à s’enlever à la réalité, à se consoler de tout ce qui leur manque en caressant les vains espoirs. « Comme le globe terrestre est enveloppé par l’océan, ainsi la vie humaine est entourée de songes », a dit un poète russe. Et ce poète a dit vrai.

Mais quand je pourrais remplir mon existence des plus fabuleux enchantements, quand les plus beaux rêves jamais conçus par une créature mortelle se changeraient pour moi en réalité, je sais que ce bonheur ne me suffirait pas, que je m’en lasserais, que je garderais en moi un abîme d’avidité. Je le sais, je le sens,