Page:Conan - Physionomies de saints, 1913.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
PHYSIONOMIES DE SAINTS

dans toute sa personne et ses manières beaucoup de distinction et de grâce. Se sentant fait pour briller, il eût voulu frayer avec les grands seigneurs. Ce désir devint une passion, une fureur, disent ses biographes.

Pour arriver à marcher de pair avec les nobles si fiers, si dédaigneux, le négociant n’avait qu’un moyen, attirer tous les regards, éblouir toute la contrée par sa magnificence. Il le comprenait et avec une énergie infatigable se mit à la poursuite de la fortune.

Déjà riche, il ne lui fut pas difficile d’accaparer le commerce des grains. En spéculant ensuite sur la misère publique, l’ambitieux Italien réalisa des profits énormes.

Sa femme était prise comme lui du désir de s’élever, de briller.

Les deux époux étaient devenus durs, avares, et Luchesio, qui touchait à une grande situation, s’était jeté avec ardeur dans les luttes qui déchiraient alors l’Italie.

En Italie, au xiiie siècle, la guerre fratricide était à l’état permanent. De la plus grande à la plus petite, chaque cité guettait le moment favorable d’attaquer les voisins et les sièges se terminaient par des atrocités. La désolation était partout, la croix penchait, la société chrétienne semblait agoniser. Jamais, en Italie, la plainte humaine n’avait été plus profonde, plus angoissée.

Mais celui qui devait relever la maison de Dieu tombant en ruines venait de se révéler. L’enfant gâté d’Assise, le prince de la jeunesse dorée était devenu l’amant désespéré de la pauvreté. Ivre d’amour divin, François s’en allait par les villes et les campagnes, prêchant la paix, le détachement. Sa sainteté éclatait, elle rayonnait au loin.

Ce que Luchesio entendit raconter de l’ami de sa jeunesse le remua profondément.

On dit que l’instinct du divin n’est jamais qu’endormi dans l’âme humaine. Et un jour que Luchesio se trouvait seul, il se prit à songer sérieusement à