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louis hébert

C’est le 7 avril 1604 que la petite flotte prit la mer et cingla vers l’Amérique. Deux mois plus tard, les pionniers côtoyaient la sauvage Acadie encore dans sa grâce printanière. Cette terre charmante, qu’un malheur unique a sacrée pour jamais, que l’histoire nous montre comme voilée d’un deuil éternel, apparut aux Français belle comme l’espérance. Ils en prirent possession avec une joie de conquérants. Mais le lieutenant-général commit la faute de choisir une petite île pour y asseoir sa colonie.

Cette île — qu’il nomma Sainte-Croix — n’avait qu’une demi-lieue de circonférence et l’eau douce y manquait. Presque tout le bois qui s’y trouvait fut employé à construire les logements. Et comme l’hiver fut, cette année-là, extraordinairement hâtif et rigoureux, les Français, emprisonnés par les glaces, pensèrent mourir de froid et souffrirent beaucoup du manque d’eau. Une fois les provisions de vin et de cidre épuisées, il fallut boire de l’eau de neige, pour ne pas mourir de soif. Aussi le terrible mal de terre éclata[1].

Sur soixante-dix-neuf hivernants, trente-six moururent et plus de vingt virent la mort de fort près. Presque tous les autres furent au moins incommodés. Onze chasseurs qui vi-

  1. En 1536, le mal de terre avait enlevé à Jacques Cartier un quart de ses marins. Voici, d’après l’illustre navigateur, quels en étaient les symptômes ; « Les uns perdaient la soutenue et leur devenaient les jambes grosses et enflées, et les nerfs retirés et noirs comme charbon, et énormes toutes semées de gouttes de sang comme pourpre. Puis montait la dite maladie aux hanches, cuisses, épaules, aux bras et au col. Et à tous venait si infecte et pourrie aux gencives que toute la chair tombait jusqu’à la racine des dents, lesquelles tombaient presque toutes. »