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silhouettes canadiennes

L’incendie de Port-Royal ruinait complètement Poutrincourt[1]. Il ne pouvait songer à rien reconstruire. Et, peu après le désastre, la plupart des colons repassèrent en France.

L’âme en deuil de tous ses beaux espoirs, Louis Hébert parcourut une dernière fois ses champs défrichés avec tant de fatigues. Un lien mystérieux attache le cultivateur au sol. La rupture lui en était cruelle. Cette fois, il n’espérait plus revenir. Il abandonnait pour toujours ce qu’un travail acharné avait conquis de la forêt. Les fils de la Vierge argentaient ses labours d’automne ; les grillons chantaient dans le chaume flétri. Mais jamais plus il ne verrait le blé vert pousser le long des sillons. Le fruit de ses labeurs lui échappait. Il fallait dire adieu à la terre acadienne qu’il aimait, où il avait cru s’établir pour jamais.

Oh ! l’amertume de ses pensées, la tristesse de son âme devant les ruines. Avec quelle joie il avait vu s’élever la vaste habitation maintenant en cendres. Sur cette plage lointaine, dans ce décor de sauvage solitude, cette maison fruste s’illuminait à ses yeux des splendeurs d’une grande pensée. Avec quel bonheur il revenait à ce foyer national où le repos était si bon, après les rudes journées, où la voix de l’océan couvrait les causeries et berçait le rêve… Rêves

  1. De retour en France, Poutrincourt reprit le service et deux ans plus tard il mourut au champ d’honneur. Son fils Biencourt, héritier de ses droits, força plus tard l’Angleterre à l’indemniser des pertes que le pirate Argall lui avait causées.