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silhouettes canadiennes
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cutions mesquines, on espérait le dégoûter, le décourager, le décider à retourner en France. « Ô Dieu ! partout les gros poissons mangent les petits »[1], écrivait le Frère Sagard, indigné de ces injustices.

Mais la fermeté d’Hébert fut inébranlable. Réduit à préparer ses champs à la bêche, il bêcha, il piocha sans regarder à la fatigue ; et, dans ses sillons péniblement creusés, par un beau jour de mai, il jeta triomphalement la première semence.

Quand la clairière fumait à l’ardent soleil, avec quelle émotion Hébert devait regarder la terre brune où le grain dormait. Avec quelle joie, il vit poindre et croître la semence, se développer et mûrir les beaux épis barbus. « Le patriotisme fleurit en même temps que les champs se couvrent de moissons », a dit quelqu’un. Pour Hébert, la pensée de l’exil éternel s’adoucissait. Dans les beaux jours, aux heures de repos, quand le silence, dans l’espace immense, laissait entendre les plus douces voix de la vie, il aimait à s’asseoir sur les marches de pierre de sa maison, à songer à l’avenir, en regardant le sauvage Québec.

Et de la terre riche de l’humus des siècles, de la fumée des foyers, de l’horizon grandiose, du fleuve resplendissant, de la forêt ombreuse, des solitudes inconnues, une fraîche figure s’ébauchait, prenait corps : c’était la Nouvelle-France, la jeune patrie aux clartés d’aurore, aux mystérieuses destinées, à qui il avait tout sacrifié.

  1. Sagard : Histoire du Canada.