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jeanne mance

À toutes les représentations sur la témérité de l’entreprise, M. de Maisonneuve répondit : « Je ne suis point venu pour délibérer, mais pour exécuter. Quand tous les arbres de l’île de Montréal seraient changés en Iroquois, il est de mon honneur d’aller y établir une colonie. »

Ni les mille dangers de mort, ni le danger bien autrement redoutable de tomber vivante entre les mains des Iroquois et d’être emmenée en captivité ne purent arrêter Mlle Mance. Quand, au printemps de 1642, les hardis pionniers, avec des cris de joie et des chants d’actions de grâces, prirent possession de l’île de Montréal, elle était au milieu d’eux. Au bord de la forêt traversée par le soleil de mai, elle prépara l’autel où se dit la première messe.

Un attrait mystérieux et puissant avait poussé Mlle Mance à Ville-Marie. Le dévouement qui se dépense goutte à goutte exige une volonté suprême et l’ensemble des plus hautes vertus. Jamais le sien ne se démentit. Toujours occupée des malades et des blessés, ne reculant devant aucun travail, aucun dégoût, aucune lassitude, elle vécut dans son humble hôpital entouré d’une palissade de pieux.

À Ville-Marie, il y avait des meurtrières à toutes les maisons, et pour franchir le seuil de sa porte, un homme prenait ses armes. On vivait dans la continuelle appréhension de ces ennemis féroces et rusés qui surgissaient partout comme des fantômes sinistres et sanglants.

Jeanne Mance avait, de la sainte, l’abnégation surhumaine, le dévouement surnaturel, mais elle avait aussi les délicatesses et les faiblesses de la femme. Elle n’a rien écrit de ses impressions, mais les religieuses qui la remplacèrent à l’hôpital ont laissé des annales. Elles avouent ingénument que le service des malades — bien qu’accablant à cause des veilles qu’il nécessitait — ne leur semblait rien comparé aux frayeurs où elles étaient d’être prises par les Iroquois.