- Ce 4 décembre 1773.
Monsieur, vous jugez le livre de l'Esprit [1] avec une sévérité qui me fait peur ; je prétends contre vous que c’est un bon livre : 1° parce qu’il nous donne le portrait naïf de l’âme d’Helvétius dessous les replis de son amour-propre, de l’occupation continuelle où il était de se comparer avec les autres, et de tâcher de se trouver supérieur : or il vaut mieux avoir le portrait par l’homme même et sans qu’il ait voulu le faire, que d’après les observations d’un moraliste. 2° Ce portrait est celui d’une foule d’honnêtes gens, comme dit madame de Beauveau, dont Helvétius a dit le secret. 3° Il y a beaucoup de gens que la nature ou l’éducation ont destinés à être fripons, et qui ne deviendront honnêtes gens qu’à la manière et par les principes d’Helvétius. 4° Il aura beau dire, il ne m’empêchera pas d’aimer mes amis ; il ne me condamnera pas à l’ennui mortel de pense»’sans cesse à mon mérite ou à ma gloirie. Il ne me fera pas croire que, si je résous des problèmes, c’est dans l’espérance que les belles dames me rechercheront ; car je n’ai pas vu jusqu’ici qu’elles raffolassent des géomètres. Ainsi, il ne me fera aucun mal, ni à moi ni aux autres bonnes gens. 5° Il prêche avec beaucoup de force contre l’intolérance de tous les clergés. Sa plus grande faute me paraît d’avoir déclamé contre le despotisme
- ↑ Cette lettre, où Turgot jugeait le livre d’Helvétius, ne s’est point retrouvée.