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DIALOGUE

mour de la liberté et de la patrie ; il eût donné à un peuple faible, qui ne sait que trembler et haïr, le courage et les moyens de punir. Et si le sort conduisait Diogène à Syracuse, crois-tu qu’il s’abaisserait à faire rire un vil tyran ? Je lui reprocherais ses barbaries, ses voluptés et ses vers boursouflés. Denys se croit un Dieu ; je lui ferais apercevoir qu’il n’est pas même un homme.

ARISTIPPE.

Denys, maître d’un peuple désarmé, est entouré des guerriers qui ont chassé les vengeurs des Africains et de la renommée de ses victoires. Il mourra sur le trône. Que gagnerais-je à le braver ? Le vain honneur d’avoir montré du courage et de lui faire commettre un crime de plus, et j’aime mieux lui en épargner. J’ose lui déplaire quand il le faut pour être utile. Je ne crains point la mort, mais je ne hais point la vie ; je ne veux pas la sacrifier à une gloire inutile, mais je suis prêt à la donner pour le bien des hommes.

DIOGÈNE.

Aristippe, accoutumé aux plaisirs, est devenu l’esclave de la volupté. Il craint moins la mort qu’une vie austère.

ARISTIPPE.

Le plaisir ne m’amollit point. Dans une âme ardente et inflexible comme la tienne, la volupté devient une fureur. Elle tient lieu de tout, et le rend capable de tout. La mienne, plus flexible et plus modérée, sait en jouir et peut s’en passer ; je ne suis ni assez sot pour la mépriser, ni assez emporté pour