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ENTRE DIOGÈNE ET ARISTIPPE.

la craindre. Je me livre gaiement aux fêtes tumultueuses de Denys. J’en ai banni la débauche. Ses courtisans, qui bravaient la nature et les lois, craignent qu’Aristippe les accuse de manquer de goût. Les moments où je vois que le plaisir a réveillé l'âme de Denys, et que sa douce ivresse en chasse la défiance, j’en profite pour le rappeler, non à la justice, les tyrans ne peuvent la connaître, mais à la compassion, dont la voix n’est jamais étouffée sans ressource. Je sais qu’il ne peut faire du bien par vertu ou par système, et je tâche qu’il en fasse par caprice. On lui amena, il y a quelque temps, trois belles esclaves que des pirates avaient enlevées : elles pleuraient. Le tyran blasé ne vit ni leur beauté ni leurs larmes. Je venais de louer une de ses tragédies. Aristippe, me dit-il, choisis une de ces esclaves. Je les prends toutes trois, répondis-je. Pâris s’est trop mal trouvé d’avoir fait un choix. Il rit. J’emmenai ces trois esclaves, et le lendemain je les renvoyai à leurs parents.

DIOGÈNE.

Confondu dans une foule de vils flatteurs, l’ingénieux Aristippe se charge du soin de distraire un tyran de ses remords et de ses craintes. Ta voix le rassure contre la haine ; ton suffrage l’encourage contre le mépris. D’autant plus coupable que tu as plus d’esprit et de crédit sur l’opinion, que tu peux et le corrompre et l’excuser. En vain te vantes-tu de lui épargner des crimes, si tu fortifies ses vices.

ARISTIPPE.

Je détruis par une flatterie plus adroite le mal que