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DISCOURS DE RÉCEPTION


sion heureuse, chasser de son cœur les faiblesses de l’intérêt personnel et les petites passions qu’il enfante.

Le drame, au contraire, me rapproche de moi-même, me présente le tableau des malheurs où mes passions peuvent me plonger. Il doit me montrer, par des exemples pris dans la classe de mes égaux, ce que j’ai à craindre de la méchanceté humaine ou de ma propre faiblesse. Il me fait sentir quels sont mes devoirs dans des circonstances difficiles, la conduite que prescrit la raison, les sacrifices qu’exige la vertu, et les dédommagements qu’elle promet. Ici la leçon est plus directe, peut-être plus utile ; mais elle cessera de l’être, si le poète n’attaque pas un de ces vices répandus dans la société, que la loi est forcée de laisser impunis, que l’opinion publique semble trop épargner, et contre lesquels la censure du théâtre est un remède à la fois efficace et nécessaire. En s’écartant de ces règles, il manque son but, il ne fait, au lieu d’un drame, qu’une tragédie sans grandeur sans noblesse.

M. Saurin sut éviter cet écueil. La passion qu’il attaque dans Béverley n’est que l’avarice déguisée, à qui le jeu offre le moyen de s’exercer avec une activité que ne peuvent lui donner les métiers mêmes qui conduisent le plus rapidement à la fortune. Les effets de cette passion sont dignes de son origine : mais cachée d’abord sous le masque de l’amusement, de la vanité, du mépris même de l’or qu’on accuse le joueur trop timide de n’oser risquer, ce n’est qu’après s’être enracinée par l’habitude qu’elle dégénère en manie, et qu’elle se montre dans toute son hor-