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sur les émigrants.

patrie ; il peut renoncer à celle où il est né, pour en choisir une autre. Dès ce moment, citoyen de sa nouvelle patrie, il n’est plus qu’un étranger dans la première ; mais s’il y rentre un jour, s’il y a laissé des biens, il doit y jouir de la plénitude des droits de l’homme ; il n’a mérité de perdre que ceux du citoyen.

Mais il se présente ici une première question. Ce citoyen se trouve-t-il, parla seule renonciation, délié de toute obligation envers le corps politique qu’il abandonne ? La société dont il se sépare perd-elle à l’instant même tous ses droits sur lui ? Non, sans doute ; et je ne parle pas seulement ici d’une obligation morale, je ne parle point de ces sentiments qu’une âme noble et reconnaissante conserve pour son pays, même injuste ; je parle d’obligations rigoureuses, de celles auxquelles on ne peut manquer, sans se rendre coupable d’un délit ; et je dis qu’il existe un temps pendant lequel un homme placé entre son ancienne et sa nouvelle patrie, ne peut, dans les différends qui s’élèvent entre elles, se permettre que des vœux ; où celui des deux peuples contre lequel il porterait les armes aurait droit de le punir comme un assassin ; où l’homme qui emploierait ses richesses, ses talents contre ses anciens compatriotes, serait véritablement un traître.

J’ajouterai que chaque nation a de plus le droit de fixer le temps après lequel le citoyen qui l’abandonne doit être regardé comme libre de toute obligation, de déterminer quels sont jusque-là ses devoirs, et quelles actions elle conserve le pouvoir