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saires, si la nécessité n’en est pas fondée sur des raisons évidentes ? Et cependant nous croyons pouvoir montrer, au contraire, que celles qui ont été adoptées sont superflues, nuisibles même, et qu’ainsi elles n’ont pas en leur faveur ce motif d’utilité dont on a si souvent abusé contre les droits les plus naturels et les plus imprescriptibles.

En effet, quand on conviendrait qu’il est utile d’écarter des places ceux qui n’ont point une fortune indépendante, de réserver les fonctions publiques pour ceux qu’on est moins tenté de corrompre, parce que leur richesse met leur corruption à un trop haut prix, l’impôt que vous exigez est loin d’atteindre à ce but. De même, s’il ne faut placer au rang des citoyens éligibles que les hommes à qui on peut supposer une éducation soignée, l’imposition exigée est encore beaucoup trop faible. Pour la fixer d’une manière qui pût remplir réellement l’une ou l’autre de ces deux intentions, il aurait fallu porter ce terme beaucoup plus haut. Mais alors l’exclusion eût embrassé la très-grande pluralité de ceux qui, sans avoir l’avantage d’être riches, ont de la probité, des lumières et de l’éducation : car tel est, sous ce point de vue, l’inconvénient de cette manière de restreindre l’éligibilité, qu’elle ne peut atteindre son but sans le passer, et qu’il est impossible de rendre ces lois efficaces, sans les rendre avilissantes pour le peuple et dangereuses pour la liberté.

D’ailleurs, toutes les lois de ce genre sont facilement éludées. Tout homme qui a une famille, des amis ou des protecteurs, ne trouvera-t-il pas aisément les