Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 11.djvu/22

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d’en préparer la nourriture nécessaire au soutien de sa vie.

Au lieu de cela, tantôt ils pillaient les meubles d’un marchand de blé, parce qu’on leur avait dit que ce marchand ne vendrait du blé que lorsqu’il vaudrait 60 francs le setier. Tantôt ils détruisaient un moulin économique, dont le propriétaire leur vendait du pain à meilleur marché, parce que les boulangers les avaient assurés que cet homme mettait de la craie avec sa farine. D’autres prenaient le blé des gens d’église, parce que, disaient-ils, le bien de l’Église est le bien des pauvres, et que c’est pour cela qu’il ne paye point de vingtièmes. Quelques-uns enlevaient du blé de force, le payaient le prix qu’ils voulaient, et croyaient leur expédition légitime, parce qu’ils avaient droit de vivre.

Or, Monsieur, croyez-vous qu’il soit impossible de persuader au peuple, que si un homme a tenu un propos dur et barbare, cela ne donne pas le droit de le piller ; que les meuniers économiques ne mettent pas de craie dans le pain ; que les biens des moines leur appartiennent, tant que le gouvernement voudra bien les leur laisser, et que payer le setier 12 livres quand il en vaut 30, c’est précisément comme si on prenait 18 francs dans la poche du possesseur de ce blé ?

Croyez-vous qu’on ne puisse pas faire entendre au peuple que le besoin ne lui donne pas plus le droit de voler du blé que de l’argent ; que ces deux vols ne peuvent être excusés que dans les mêmes circonstances ; que celui qui achète 15 francs un setier