Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 11.djvu/23

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de blé qui en vaut 30, ne peut alléguer la nécessité pour excuse, parce qu’il pouvait acheter un demi-setier pour 15 francs, et travailler pour en gagner 15 autres ?

Nous venons de voir une troupe de brigands démolir des moulins, jeter à la rivière les farines et les blés, en disant qu’ils manquaient de pain, et crier qu’ils avaient faim en répandant l’or à pleines mains. Nous les avons vus traîner à leur suite un peuple trompé, à qui ils persuadaient que l’intention du gouvernement était que le blé fût à bon marché ; fabriquer de fausses lois pour le tromper. Nous avons vu des gens du peuple, riches en terres et en effets, se joindre aux pillards, et soudoyer des hommes qui pillaient pour eux. Nous avons vu cette fureur se communiquer de proche en proche, et cette opinion qu’il est permis de prendre du blé où il y en a, et de le payer ce que l’on veut, prête à devenir l’opinion générale.

Cela prouve, sans doute, qu’il est facile de séduire et d’égarer le peuple. Mais croyez-vous qu’il soit impossible de lui faire sentir que des scélérats ont abusé de sa facilité pour le rendre criminel ; que c’est un mauvais moyen, pour procurer du pain au peuple, que de jeter les farines à la rivière ; que le cultivateur qui a fait venir le blé à force de travaux et de sueurs, le marchand qui l’a payé de son argent, doivent avoir la libre disposition de leur blé, comme l’homme du peuple a la libre disposition de ses habits, de ses meubles ; que toute taxe d’une denrée qui n’est pas l’objet d’un privilège exclusif,