Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 11.djvu/27

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Je reviens aux préjugés du peuple sur le blé. Il y a dans ce canton des gens bien intentionnés, qui ont l’honnêteté de répandre que si le blé est cher, c’est parce que le gouvernement en a fait passer aux étrangers : le peuple croit cette absurde calomnie, et il a raison. Il voyait, il n’y a pas longtemps, l’exportation défendue par une loi publique, et permise à des personnes privilégiées, par des ordres secrets ; pourquoi ne croirait-il pas que l’on suit aujourd’hui le même régime ? Il n’y a encore que le peuple du Limousin qui sache pourquoi ce qui se faisait en 1771, ne se fait pas en 1775; mais, dans quelques années, le peuple de toute la France le saura.

Vous exagérez la stupidité du peuple. Nous sommes ignorants, parce qu’on n’a point daigné nous donner les moyens de nous instruire ; parce qu’il est tout simple qu’une jurisprudence, une législation de finances, qu’aucun jurisconsulte, aucun financier ne peuvent se vanter d’avoir entendues en entier, n’offrent qu’un brouillard à des hommes qui n’ont ni le temps ni l’habitude de la réflexion ; mais nous savons saisir les idées simples qu’on nous présente clairement, et raisonner avec justesse sur ces idées ; nous savons souffrir avec patience les outrages que nous ne pouvons repousser ; mais nous ne sommes pas abrutis au point de ne les plus sentir.

Nous détestons les lois, en vertu desquelles un pauvre père de famille, qui n’a point cent écus d’argent comptant, est envoyé aux galères, et marqué d’un fer chaud, pour avoir acheté à bon marché du sel qui n’est souillé d’aucune ordure ; nous sommes