mais rarement ces hommes, que la nature paraissait
avoir formés par une organisation particulière pour
n’acquérir qu’un seul genre d’idées, ont été dans
ce genre même des hommes supérieurs ; et il ne faut
pas en être surpris : ce talent exclusif pour un objet
est une preuve qu’ils manquaient sans doute de cette
flexibilité, de cette mobilité d’esprit qui, loin d’être
incompatible avec le génie, sert à multiplier ses
moyens et ses ressources. Ce n’était pas seulement
pour être botaniste que M. de Jussieu était né ; c’était
pour observer la nature, et c’est précisément
pour cela qu’il a été un si grand botaniste : peu
d’hommes ont réuni au même degré les qualités
d’un excellent observateur ; une mémoire prodigieuse
qui pouvait embrasser une immensité d’objets, et
une netteté d’esprit qui ne les confondait jamais ;
l’avidité de savoir et la patience ; des vues grandes
et hardies, et une timidité scrupuleuse quand il fallait
s’arrêter à une opinion ; un esprit capable de
former des combinaisons étendues et profondes,
mais qui descendait sans peine aux plus petits détails ;
enfin, un amour vif de la vérité et nul désir
de la gloire ; car l’amour de la gloire et l’avidité d’en
jouir conduisent souvent les observateurs à n’apercevoir
jamais que des choses extraordinaires, ou à
prétendre avoir vu ce qu’ils n’ont fait qu’entrevoir.
A son retour d’Espagne, M. de Jussieu observa avec son frère les plantes du Lyonnais et d’une partie des Alpes, puis il le quitta pour aller à Montpellier suivre les études de médecine. Il se destinait à exercer la médecine dans sa patrie : ni le séjour