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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 2.djvu/371

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ÉLOGE DE M. DE LINNÉ.

Elle fut heureuse jusqu’à soixante ans ; sa santé ne fut altérée avant cette époque que par une violente attaque de goutte, dont il prévint les retours par l’usage des fraises. Il avait fait un mariage heureux qui lui a donné trois filles et un fils digne de lui succéder. Il passa des jours tranquilles, glorieux, occupés, au milieu de ses disciples, qui étaient ses amis, jouissant de sa gloire, que chaque jour il augmentait encore, de la reconnaissance de son pays, et de cette considération publique que la célébrité et le talent ne peuvent donner, à moins qu’ils ne soient unis à un caractère qui force l’envie au respect. Sensible avec ses amis, aimable et gai dans la société intime ; noble avec les grands, simple et bon avec ses inférieurs, on ne le vit jamais acheter par des bassesses le droit de faire éprouver des hauteurs, d’autant moins jaloux d’affecter une supériorité précaire qu’il était plus sûr d’en avoir une réelle. Riche des bienfaits de la cour, il ne quitta jamais cette simplicité de vie dont on ne peut s’écarter sans en être puni par le ridicule et par l’ennui.

Il employa pour sa nation ce qu’il avait reçu d’elle : son seul luxe était un muséum immense ; monument glorieux pour la Suède, puisqu’il était la collection des tributs que les naturalistes du Nord avaient consacrés à celui que, d’une voix unanime, ils avaient nommé leur chef et leur maître.

Frappé, au mois d’août 1776, d’une apoplexie qui détruisit ses forces, affaiblit sa mémoire, et le conduisit au tombeau, par un dépérissement lent et insensible, ce muséum était encore sa consolation ;