que l’inoculation ne lui soit avantageuse ; mais ce
risque pourrait être au-dessus de la même limite,
sans que l’on dût louer le courage ou condamner
l’imprudence de celui qui s’exposerait à ce danger.
La vraie solution du problème dépend d’une méthode
d’évaluer la vie, ou plutôt de l’apprécier (car
sa durée ne doit pas entrer seule dans le calcul) ; et
il serait bien difficile de trouver pour cette méthode
des principes dont tous les hommes, même raisonnables,
voulussent convenir, soit pour eux-mêmes,
soit pour leurs enfants. C’est principalement dans
cette dernière hypothèse que la question devient
difficile, et qu’elle peut être importante : en prononçant sur notre propre danger, nous pouvons suivre
notre volonté, nos penchants, et, après avoir balancé
nos intérêts, nous décider pour celui que
nous préférons ; en prononçant sur le sort d’autrui, la justice la plus sévère doit nous conduire : le droit que nous avons sur l’existence d’un autre n’est fondé que
sur l’ignorance qui l’empêche de juger pour lui-même ;
c’est donc sur son avantage réel, et non sur
notre seule opinion, que notre volonté doit se régler ;
il ne suffit point de croire qu’il soit utile pour
lui de l’exposer à un danger, il faut que cette utilité
soit prouvée. On chercherait vainement à éluder la
difficulté, en décidant qu’alors l’intérêt général doit
l’emporter ; ce patriotisme exagéré n’est qu’une illusion
dangereuse, capable d’entraîner à des injustices,
et même à des crimes, les hommes ignorants et passionnés.
Sans doute il est des circonstances où l’on
peut devoir au bonheur public le sacrifice
volon-
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ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.