Aller au contenu

Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
104
ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.


mais l’amitié, qu’il a trouvée quelquefois pour prix de ses services et de ses leçons, le consolait, et il ne se croyait pas malheureux d’avoir fait cent ingrats pour acquérir un ami. Vers la fin de sa vie, à mesure qu’il voyait successivement se briser les liens formés dans sa jeunesse, c’est parmi ses anciens disciples qu’il avait choisi ses amis les plus chers, ceux qui étaient pour lui l’objet d’un sentiment plus tendre, et sur l’amitié desquels il comptait le plus ; et comme il avait toujours préféré la géométrie à toute autre étude, c’est sur deux géomètres de l’Académie que le choix de son cœur s’était surtout arrêté.

Ami de l’humanité, les intérêts, les droits des hommes étaient pour lui des objets sacrés ; souvent il les a défendus, et jamais il ne les a trahis : si l’on ne mérite pas le nom de citoyen en flattant bassement l’autorité, de quelque manière qu’elle s’exerce, en exaltant toujours les vertus et les actions de ceux qui gouvernent, au risque de louer tour à tour des principes contradictoires, on s’en rend également indigne en blâmant tout au hasard, en donnant pour patriotisme son attachement à une cabale dont on espère partager le crédit, en cachant sous l’apparence de l’amour naturel et légitime de la liberté, l’humeur secrète de n’avoir pas d’empire sur celle des autres. Un bon citoyen s’intéresse vivement au bonheur général, s’élève avec courage contre ceux qui font le mal ou qui le permettent ; il obéit aux lois, mais en réclamant contre celles qui blessent l’humanité et la justice ; soumis à l’autorité, il respecte ceux qui en sont les dépositaires, mais il les