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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/299

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ÉLOGE DE M. BOUVART.


on n’a pu reprocher à M. Bouvart que de confondre quelquefois ce qui ne blessait que ses opinions, avec ce qui offensait les intérêts de la société, et de prodiguer à des torts frivoles ou imaginaires la colère de l’homme de bien ; aussi paraissait-il dur aux indifférents, à tous ceux à qui l’égoïsme ou la légèreté a fait perdre, avec l’habitude de juger d’après des principes invariables, celle de sentir profondément. Ses amis seuls connaissaient sa sensibilité, et ils avaient appris à la connaître par ses actions, beaucoup plus que par ses discours. Il traitait ses malades avec une attention religieuse, mais sans complaisance, parce qu’il n’en regardait aucune comme vraiment indifférente ; il songeait beaucoup plus à les sauver qu’à les soulager, et ne leur épargnait pas les remèdes dont il croyait pouvoir espérer quelques effets salutaires, même lorsque cette espérance était très-faible, et que ces remèdes pouvaient augmenter leurs souffrances ; il usait rarement de ceux qui, en diminuant la douleur, peuvent contrarier le traitement : il cherchait à prolonger une existence même pénible, parce qu’il ne connaissait presque aucune circonstance où l’on pût désespérer absolument du pouvoir de la nature. Il voulait en même temps que ses malades fussent convaincus que leur médecin savait mieux qu’eux ce que leur état exigeait, qu’ils soumissent leur raison à la sienne, et qu’ils lui fissent le sacrifice entier, non-seulement de leurs opinions, mais de leurs répugnances et de leurs petites inquiétudes.

Sa raison, tout éclairée qu’elle était, ne l’était