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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/374

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ÉLOGE DE M. DE BUFFON.

Placé dans un siècle où l’esprit humain s’agitant clans ses chaînes, les a relâchées toutes, et en a brisé quelques-unes ; où toutes les opinions ont été examinées, toutes les erreurs combattues, tous les anciens usages soumis à la discussion ; où tous les esprits ont pris vers la liberté un essor inattendu, M. de Buffon parut n’avoir aucune part à ce mouvement général : ce silence peut paraître singulier dans un philosophe dont les ouvrages prouvent qu’il avait considéré l’homme sous tous les rapports, et annoncent en même temps une manière de penser mâle et ferme, bien éloignée de ce penchant à l’incertitude qui conduit à l’indifférence.

Mais peut-être a-t-il cru que le meilleur moyen de détruire les erreurs en métaphysique et en morale était de multiplier les vérités d’observation dans les sciences naturelles ; qu’au lieu de combattre l’homme ignorant et opiniâtre, il fallait lui inspirer le désir de s’instruire. Il était plus utile, selon lui, de prémunir les générations suivantes contre l’erreur, en accoutumant les esprits à se nourrir des vérités même indifférentes, que d’attaquer de front les préjugés déjà enracinés et liés avec l’amour-propre, l’intérêt ou les passions de ceux qui les ont adoptés. La nature a donné à chaque homme son talent, et la sagesse consiste à y plier sa conduite : l’un est fait pour combattre, l’autre pour s’instruire ; l’un pour corriger et redresser les esprits, l’autre pour les subjuguer et les entraîner après lui.

D’ailleurs, M. de Buffon voulait élever le monument de l’histoire naturelle, il voulait donner une