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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/389

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ÉLOGE DE FRANKLIN.


préceptes dont il remplissait le vide des pages.

Il y plaçait des conseils d’économie, des leçons de bienfaisance ou de justice propres à diriger la conduite d’une vie simple et laborieuse ; et il avait soin de les terminer par un proverbe vulgaire, afin de les graver plus sûrement dans la mémoire. Cet almanach était destiné surtout à ceux qui, placés aux extrémités de la colonie, absorbés par le travail et les soins domestiques, ne connaissaient guère d’autres lectures. Il voulait qu’aucune classe de citoyens ne restât sans instruction, qu’aucune ne fût condamnée à ne recevoir que des idées fausses par des livres destinés à flatter sa crédulité ou à nourrir ses préjugés. Un simple imprimeur faisait alors pour l’Amérique ce que les gouvernements les plus sages avaient eu l’orgueil de négliger ou la faiblesse de craindre. Il a depuis recueilli toutes ces leçons dans. l’ouvrage si connu sous le titre du Bonhomme-Richard, modèle unique, dans lequel on ne peut s’empêcher de reconnaître l’homme supérieur, sans qu’il soit possible de citer un seul trait où il se laisse apercevoir. Rien dans les pensées ni dans le style n’est au-dessus de l’intelligence la moins exercée ; mais la philosophie y découvre aisément des vues fines et des intentions profondes. L’expression est toujours naturelle, souvent même commune, et tout l’esprit est dans le choix des idées. Pour que ses leçons soient plus utiles, il n’avertit pas ses lecteurs qu’un savant de la ville veut bien s’abaisser jusqu’à les instruire, il se cache sous le nom du bonhomme Richard, ignorant et pauvre comme eux.