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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/390

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ÉLOGE DE FRANKLIN.

Les Américains n’étaient point alors ce peuple de philosophes qui, par la sagesse de ses institutions, a depuis étonné l’Europe. La religion et les travaux nécessaires pour former des établissements dans un pays sauvage, avaient occupé uniquement les premières générations européennes. Franklin voyait combien ils avaient besoin des lumières de la philosophie ; mais il fallait le leur faire sentir sans annoncer une intention qui aurait trop averti de sa supériorité. Il forma un club parmi ceux des habitants de Philadelphie dont la fortune se rapprochait de la sienne. Il n’était composé que de douze personnes, et le nombre n’en fut jamais augmenté. Mais, par son conseil, la plupart des membres établirent bientôt d’autres associations semblables. Par là, il s’assurait qu’elles seraient animées du même esprit. Il se garda bien de les lier par une confédération solennelle, et encore moins par une dépendance de la première société. Il voulait établir entre les citoyens une communication plus étroite de lumières et de sentiments, leur faire prendre l’habitude de se concerter pour leurs intérêts communs, et non propager ses opinions ou se donner un parti. Il croyait que si une association privée ne doit jamais se cacher, elle doit encore moins se montrer ; qu’utile, lorsqu’elle agit par l’influence séparée de ses membres, par le concert de leurs intentions, par le poids que leurs vertus ou leurs talents donnent à leurs opinions, elle peut devenir dangereuse, si, agissant en masse et formant en quelque sorte une nation au milieu de la nation, elle parvient à créer