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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/395

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ÉLOGE DE FRANKLIN.


force de l’habitude, substituer aux sentiments, aux impulsions naturelles, les principes qu’il croyait nécessaire d’inspirer aux hommes ; le philosophe d’Amérique voulait seulement épurer, fortifier, diriger les mouvements de la nature. L’un s’était proposé d’asservir l’homme et de le transformer ; l’autre n’aspirait qu’à l’éclairer et à le perfectionner ; l’un avait formé un système qui pouvait, dans une nation, à une époque donnée, produire une heureuse révolution, étonner les peuples par de grandes vertus, et qui bientôt, anéanti par la force irrésistible de la nature, dont il avait contrarié les lois, ne devait plus exister que dans leur mémoire. Les moyens de l’autre, conformes à ces lois, convenant à tous les pays comme à tous les temps, tendaient à une perfection lente, mais durable, et, sans faire la gloire d’aucun siècle, pouvaient contribuer au bonheur de tous.

Mais le philosophe qui préparait la félicité de son pays, en éclairant les hommes pour en faire des citoyens, était destiné à lui rendre des services plus directs et non moins utiles. Le temps n’était plus où la pauvreté des colonies anglaises suffisait pour empêcher les guerres de l’Europe de s’étendre jusqu’à elles. Déjà elles pouvaient tenter l’avidité d’un ennemi, et il devenait également dangereux, pour leur repos et pour leur liberté, d’être abandonnées par la Grande-Bretagne, ou défendues par ses soldats. Franklin qui, depuis 1736, était secrétaire de l’assemblée de Pensylvanie, jugea qu’il fallait profiter d’un moment de guerre où l’Angleterre était inté-