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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/396

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ÉLOGE DE FRANKLIN.

ressée à permettre aux Pensylvaniens de prendre, pour la défense de leur territoire, ces armes qui deviendraient un jour nécessaires au maintien de leurs droits, et il forma en 1744, le plan d’une milice nationale. Le peuple l’accepta. Dix mille hommes furent armés ; Philadelphie seule en fournit mille. On offrit à Franklin de les commander ; il refusa, et servit comme soldat sous M. Laurence, que lui-même avait proposé pour général. Il fallait bâtir des forts, et on manquait d’argent ; il y pourvut par une loterie dont il donna le projet.

Le succès de ces mesures éprouvait une difficulté singulière. Les quakers sont en grand nombre dans la Pensylvanie ; et dans la pureté des principes de leur secte, ils regardent comme un péché de contribuer, même de leur argent, à une guerre défensive. L’effet naturel d’une morale exagérée, adoptée par enthousiasme, est de mettre ses sectateurs dans la nécessité d’en violer les préceptes, ou d’y sacrifier les conseils de la raison et les sentiments de la morale naturelle. Alors ils cherchent à éluder leurs propres lois, ils en dissimulent la violation par des distinctions subtiles, par d’adroites équivoques. Par là ils évitent de soulever contre eux les fanatiques ou les hypocrites de leur secte, et ils ne blessent point le peuple, qui, dans toutes les religions, n’attache sa morale qu’aux mots consacrés[1].

  1. C’est ainsi que les quakers, sollicités d’accorder une somme d’argent dont on avait besoin pour acheter de la poudre, en donnèrent pour acheter du blé, du seigle et d’autres graines.