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ÉLOGE DE M. EULER.


transmises : cette différence dans nos jugements n’est-elle pas une preuve de ces progrès heureux de l’espèce humaine, que quelques écrivains s’obstinent à nier encore, apparemment pour éviter qu’on ne les accuse d’en avoir été les complices ?

Le gouvernement de Russie n’avait jamais traité M. Euler comme un étranger ; une partie de ses appointements lui fut toujours payée, malgré son absence ; et l’impératrice l’ayant appelé en 1766, il consentit à retourner à Pétersbourg.

En 1735, les efforts que lui avait coûté un calcul astronomique, pour lequel les autres académiciens demandaient plusieurs mois, et qu’il acheva en peu de jours, lui avaient causé une maladie suivie de la perte d’un œil ; il avait lieu de craindre une cécité complète s’il s’exposait de nouveau dans un climat dont l’influence lui était contraire : l’intérêt de ses enfants l’emporta sur cette crainte ; et si on songe que l’étude était pour M. Euler une passion exclusive, on jugera sans doute que peu d’exemples d’amour paternel ont mieux prouvé qu’il est la plus puissante et la plus douce de nos affections.

Il essuya, peu d’années après, le malheur qu’il avait prévu ; mais il conserva, heureusement pour lui et pour les sciences, la faculté de distinguer encore de grands caractères tracés sur une ardoise avec de la craie ; ses fils, ses élèves, copiaient ses calculs, écrivaient sous sa dictée le reste de ses mémoires ; et si on en juge par leur nombre, et souvent par le génie qu’on y retrouve, on pourrait croire que l’absence encore pins absolue de toute distrac-