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ÉLOGE DE M. EULER.


tion, et la nouvelle énergie que ce recueillement forcé donnait à toutes ses facultés, lui ont fait plus gagner, que l’affaiblissement de sa vue n’a pu lui faire perdre de facilité et de moyens pour le travail.

D’ailleurs, M. Euler, par la nature de son génie, par l’habitude de sa vie, s’était même involontairement préparé des ressources extraordinaires en examinant ces grandes formules analytiques, si rares avant lui, si fréquentes dans ses ouvrages, dont la combinaison et le développement réunissent tant de simplicité et d’élégance, dont la forme même plaît aux yeux comme à l’esprit, on voit qu’elles ne sont pas le fruit d’un calcul tracé sur le papier, et que, produites tout entières dans sa tête, elles y ont été créées par une imagination également puissante et active. Il existe dans l’analyse (et M. Euler en a beaucoup multiplié le nombre), des formules d’une application commune et presque journalière ; il les avait toujours présentes à l’esprit, les savait par cœur, les récitait dans la conversation ; et M. D’Alembert, lorsqu’il le vit à Berlin, fut étonné d’un effort de mémoire qui supposait dans l’esprit de M. Euler tant de netteté et tant de vigueur à la fois. Enfin, sa facilité à calculer de tête était portée à un degré qu’on croirait à peine, si l’histoire de ses travaux n’avait accoutumé aux prodiges : on l’a vu, dans l’intention d’exercer son petit-fils aux extractions des racines, se former la table des six premières puissances de tous les nombres, depuis 1 jusqu’à 100, et la conserver exactement dans sa mémoire. Deux de ses disciples avaient calculé jusqu’au dix-