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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/455

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ÉLOGE DE FOURCROY.

mérita d’être chargé plus d’une fois de commissions importantes.

La nation française qui, dans le siècle précédent, avait produit tant de guerriers illustres, devait alors la gloire et la supériorité de ses armes à deux généraux étrangers ; et c’était dans les camps du prince Eugène et de ses disciples que s’étaient formés les défenseurs de la France et les vainqueurs de l’Autriche. Ainsi, Marlborough avait été l’élève de Turenne. Dans aucun genre, il ne peut plus subsister pour une nation de supériorité durable ; cette inégalité dans l’instruction, dans les institutions sociales, qui destinait un peuple à commander, un autre à obéir, est pour jamais bannie de l’Europe, et la voix de l’intérêt, comme celle de la nature, leur crie à tous de s’unir et de s’aimer.

Fourcroy mérita la confiance honorable de ces deux généraux, sans la devoir ni à son expérience, ni à ses grades ; mais cette confiance servit à sa réputation, bien plus qu’à son avancement.

Le ministre et le maréchal de Saxe étaient ennemis : l’un avait trop de talents et l’autre trop d’esprit ; tous deux aimaient trop la gloire pour que leur division nuisît au succès des grandes opérations de la guerre. Mais les individus que le hasard, l’intérêt ou le devoir attachaient à l’un des deux étaient souvent victimes d’une haine qui, forcée de ménager un ennemi, se consolait de son impuissance par une vengeance indirecte. Souvent, d’ailleurs, un intérêt commun engage ainsi les chefs à des ménagements personnels : par une sorte de convention tacite,